Le Roman de Tristan, de Béroul, Paris, Bibliothèque Nationale, ms. fr. 2171, f° 1-32, vv. 1306-1350, édité par Philippe Walter, in Tristan et Iseut. Les poèmes français. La saga norroise, Textes originaux et intégraux présentés, traduits et commentés par Daniel Lacroix et Philippe Walter, Le Livre de poche, coll. Lettres gothiques, 1989, pp. 82-84 :
Oiez du nain com au roi sert.
Un consel sot li nains du roi,
Ne sot que il. Par grant desroi
Le descovri : il fist que beste,
Qar puis an prist li rois la teste.
Li nain esr ivres, li baron
Un jor le mistrent a raison
Que ce devoit que tant parloient,
Il et li rois, et conselloient :
« A celer bien un suen consel
Molt m'a trové toz jors feel.
Bien voi que le volez oïr,
Et je ne vuel ma foi mentir.
Mais je merrai les trois de vos
Devant le Gué Aventuros.
Et iluec a une aube espine,
Une fosse a soz la racine :
Mon chief porai dedenz boter
Et vos m'orrez defors parler.
Ce que je dirai, c'ert du segroi
Dont je sui vers le roi par foi. »
Li baron vienent a l'espine,
Devant eus vient li nains Frocine.
Li nains fu cort, la teste ot grose,
Delivrement ont fait la fosse,
Jusqu'as espaules l'i ont mis.
« Or escoutez, seignor marchis !
Espine, a vos, non a vasal :
Marc a orelles de cheval. »
Bien ont oï le nain parler.
S'avint un jor, aprés disner,
Parlout a ses barons roi Marc,
En sa main tint d'auborc un arc.
Atant i sont venu li troi
A qui li nains dist le secroi,
Au roi dïent priveement :
« Rois, non savon ton celement. »
Li rois s'en rist et dist : « Ce mal
Que j'ai orelles de cheval,
M'est avenu par cest devin :
Certes, ja ert fait de lui fin. »
Trait l'espee, le chief en prent.
Molt en fu bel a mainte gent,
Que haoient le nain Frocine
Por Tristan et por la roïne.
Traduction en français moderne par Philippe Walter, ibid. pp. 83-85.
Mais écoutez plutôt ce que le nain fit au roi. Il détenait du roi un secret qu'il était le seul à connaître. Une grande imprudence l'amena à le divulguer. Il commit une bêtise car cela lui valut ensuite d'être décapité par le roi. Un jour, le nain était ivre et les barons lui demandèrent ce que signifiaient les entretiens qu'il avait fréquemment avec le roi.
« J'ai toujours gardé loyalement le secret qu'il m'a confié. Je vois bien que vous voulez le connaître, mais je ne veux pas trahir ma parole. Je vous mènerai tous les trois devant le Gué Aventureux. Il y a là une aubépine dont les racines surplombent un fossé. Je pourrai placer ma tête à l'intérieur et vous m'entendrez du dehors. Ce que je dirai concernera le secret pour lequel je suis lié par serment au roi. »
Les barons se rendent devant l'épine. Frocin les précède. Le nain était petit mais il avait une grosse tête. Ils ont vite fait d'élargir le trou et y enfoncent Frocin jusqu'aux épaules.
« Écoutez, seigneurs marquis ! Épine, c'est à vous que je m'adresse et non à eux ! Marc a des oreilles de cheval ! »
Ils ont parfaitement entendu le nain. Un jour, après le dîner, Marc s'entretenait avec ses barons. Il tenait un arc d'aubour dans la main. Les trois barons à qui le nain avait révélé le secret s'approchent du roi. Ils lui disent à voix basse :
« Sire, nous savons ce que vous cachez. »
Le roi en rit et dit :
« Cette maladie des oreilles de cheval, c'est à ce devin que je la dois. Vraiment, il n'en a plus pour très longtemps à vivre. »
Il tire son épée, décapite le nabot. Beaucoup s'en réjouissent qui haïssent le nain Frocin à cause de ses méchancetés envers Tristan et la reine.
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