lundi 30 juin 2008

Tristan et Yseut, de Béroul

Un passage (épisode de l'épée) du Roman de Tristan de Béroul, Paris, Bibliothèque Nationale, ms. fr. 2171, f° 1-32, vv. 1801-1834, édité par Philippe Walter, in Tristan et Iseut. Les poèmes français. La saga norroise, Textes originaux et intégraux présentés, traduits et commentés par Daniel Lacroix et Philippe Walter, Le Livre de poche, coll. Lettres gothiques, 1989 : 104-106.

La loge fu de vers rains faite,
De leus en leus ot fuelle atraite,
Et par terre fu bien jonchie.
Yseut fu premiere couchie ;
Tristran se couche et trait s'espee,
Entre les deux chars l'a posee.
Sa chemise out Yseut vestue
(Se ele fust icel jor nue,
Mervelles lor fut meschoiet),
Et Tristran ses braies ravoit.
La roïne avoit en son doi
L'anel d'or des noces le roi,
O esmeraudes planteïz.
Mervelles fu li doiz gresliz,
A poi que li aneaus n'en chiet.
Oez com il se sont couchiez :
Desoz le col Tristran a mis
Son braz, et l'autre, ce m'est vis,
Li out par dedesus geté ;
Estroitement l'ot acolé,
Et il la rot de ses braz çainte.
Lor amistié ne fut pas fainte.
Les bouches furent pres asises,
Et neporquant si ot devises
Que n'asenbloient pas ensenble.
Vent ne cort ne fuelle ne trenble.
Uns rais decent desor la face
Yseut, que plus reluist que glace.
Eisi s'endorment li amant,
Ne pensent mal ne tant ne quant.
N'avoit qu'eus deus en cel païs ;
Quar Governal, ce m'est avis,
S'en ert alez o le destrier
Aval el bois au forestier.

Traduction en français moderne de Philippe Walter, in Tristan et Iseut. Les poèmes français. La saga norroise, Textes originaux et intégraux présentés, traduits et commentés par Daniel Lacroix et Philippe Walter, Le Livre de poche, coll. Lettres gothiques, 1989 : 105-107.

La loge était faite de rameaux verts où de part en part des feuilles avaient été rajoutées ; le sol en était également jonché. Yseut se couche la première.

Tristan fait de même ; il tire son épée et la place entre leurs deux corps. Yseut portait sa chemise (si elle avait été nue ce jour-là, une horrible aventure leur serait arrivée). Tristan, lui, portait ses braies. La reine gardait à son doigt la bague en or sertie d'émeraudes que le roi lui avait remise lors de leur mariage. Le doigt, d'une étonnante maigreur, retenait à peine la bague.

Écoutez comment ils se sont couchés ! Elle glissa un bras sous la nuque de Tristan et l'autre, je pense, elle le posa sur lui. Elle le tenait serré contre elle et lui aussi l'entourait de ses bras. Leur affection ne se dissimulait pas. Leurs bouches se touchaient presque, mais il y avait toutefois un espace entre elles, de sorte qu'elles ne se rejoignaient pas. Pas un souffle de vent, pas un frémissement de feuille. Un rayon de soleil tombait sur le visage d'Yseut, plus éclatant que la glace. C'est ainsi que s'endorment les amants ; ils ne pensent pas à mal. Ils sont tous les deux seuls à cet endroit car Gouvernal, il me semble, était parti à cheval chez le forestier, à l'autre bout de la forêt.