vendredi 11 mai 2007

Le minimalisme dans l'art et dans la musique (1)

Le minimalisme est un courant artistique qui s’est développé à partir du début des années 60, à New York, presque en même temps dans les arts plastiques et dans la musique. On le constate certes légèrement plus tôt dans l’art, mais cela ne signifie pas l’influence unidirectionnelle de l’art sur la musique. Les influences étaient réciproques, non seulement entre l’art et la musique, mais aussi dans beaucoup d’autres domaines : théâtre (Robert Wilson), danse (Judson Dance Theater), photographie (Dan Graham) et film (dit structuraliste, Paul Sharits, Michael Snow, Hollis Frampton), architecture, etc.

Par conséquent, on peut trouver de nombreuses correspondances de l’esthétique minimaliste entre tous ces domaines, et dans ce dossier, on examinera notamment celles qui font l’écho entre les beaux-arts et la musique.

I. Rapport externe

I. 1. Terme

À son début, le terme minimalisme a été très souvent l’objet de discussion, et même maintenant que le terme semble bien installé, il est toujours difficile de le définir clairement. En général, il désigne des œuvres extrêmement simples, fortement caractérisées par la répétition. Mais quand on y regarde de plus près, le minimalisme n’est pas aussi simple, surtout en ce qui concerne la musique. Dans les beaux-arts, il semble plus cohérent. En tout cas, le minimalisme n’a jamais été ni dans l’art ni dans la musique une école organisée. Il est donc difficile de le considérer comme un mouvement homogène. Il apparaît plutôt comme un rassemblement de travaux des artistes individuels, qui vivaient dans une même époque, dans un même endroit et surtout dans une même ambiance.

Sur cette commodité historique, en anglais, on appelle communément minimal music les compositions de La Monte Young, Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass. Exemple 1 donne quelques autres grands noms.

Exemple 1 : Compositeurs minimalistes

Groupe 1 :
La Monte YOUNG,1935-
Terry RILEY, 1935-
Steve REICH, 1936-
Philip GLASS, 1937-

Groupe 2 :
Tom JOHNSON, 1939-
Alvin LUCIER, 1931-
Pauline OLIVEROS, 1932-
Philip CORNER, 1933-
John WHITE, 1936-

Groupe 3 :
John ADAMS, 1947-
Laurie ANDERSON, 1947-
Meredith MONK, 1942-
Michael TORKE, 1961-
Louis ANDREISSEN, 1939-
Gavin BRYARS, 1943-
Brian ENO, 1948-
Michael NYMAN, 1944-

Groupe 4 :
Frederic RZEWSKI, 1938-
György LIGETI, 1923-
Luc FERRARI, 1929-
Arvo PÄRT, 1935-

Ils sont soit de la même génération, mais un peu moins connus (groupe 2), soit de la génération suivante, influencés par les premiers minimalistes (groupe 3), soit des compositeurs sans rapport apparent, mais qui utilisent des procédés proches du minimalisme (groupe 4). Mais du fait que les quatre compositeurs du groupe 1 sont les précurseurs et qu’ils étaient les plus productifs, le mot minimalisme leur est très attaché.

Effectivement, ils ont beaucoup de points communs : ils sont tous Américains, à peu près du même âge, ont tous étudié dans des établissements renommés, par exemple, la Juliard School, ce qui veut dire qu’ils ont souvent eu les mêmes professeurs, les mêmes camarades, et évidemment, se connaissaient bien entre eux. Et ils trouvaient tous le sérialisme, qui était le style dominant à l’époque, oppressif, inutilement compliqué, superflu. Leur idéal se trouvait plutôt chez Satie que chez Schoenberg.

Ils ont alors délibérément cherché la simplicité et la clarté, en composant avec des moyens radicalement réduits. Ils se sont limités aux éléments musicaux les plus fondamentaux et à leurs répétitions. Ils ont mis l’accent sur les propriétés physiques du son, réintroduit la notion de la tonalité ou la modalité dans leur musique, ils se sont tous intéressés aux cultures non-occidentales, au jazz, à la musique populaire et aux autres formes d’art : danse, théâtre, et bien sûr, art visuel.

Mais malgré tous leurs points communs, ils ont développé chacun un style différent pour obtenir la simplicité. Par exemple, les œuvres de Young sont réellement « minimales ». Elles sont souvent construites de quelques bourdons de longue durée. Par exemple, si on prend comme exemple la partition de Composition 1960 n° 7 de La Monte Young, on y voit un simple accord (quinte juste), et une indication, « à tenir longtemps ».


Exemple 2 : Composition 1960 n° 7 de La Monte Young
Par contre, si on prend une partition de Philip Glass (Exemple 3), qui ressemble déjà un peu plus à une partition classique, on voit bien que c’est surtout la répétition qui agit chez ce compositeur. D’ailleurs, en français, on dit plus souvent musique répétitive que musique minimale ou musique minimaliste.

Exemple 3 : Two Pages de Philip Glass
En fin de compte, le terme anglais minimal convient mal pour regrouper des musiques assez différentes les unes les autres. C’est pourquoi au début il y a eu beaucoup d’autres mots pour décrire cette musique. Par exemple, pulse music, phase music, transe music, process music, pattern music, meditative music, etc. Et il y avait aussi une expression particulièrement intéressante en rapport avec l’art, qu’est acoustical art. Cette expression a été utilisée en référence à la structure très claire de la musique minimaliste. Contrairement au système dodécaphonique, la structure de la musique répétitive est tellement claire que quand on écoute cette musique, on a l’impression qu’on la voit. Curieusement, les critiques et les journalistes de l’époque décrivaient souvent la musique minimaliste en termes visuels.

En tout cas, chacune de ces appellations reflète un aspect de cette musique. D’ailleurs, au début, le terme minimal était celui qui a été le plus souvent rejeté surtout par ces compositeurs eux-mêmes à cause de sa connotation péjorative.

Si, malgré tout, le mot minimal a survécu, c’est en grande partie dû à l’usage répandu du même mot dans le domaine de l’art visuel. En art aussi, ce mot est utilisé depuis 1965 pour désigner les œuvres d’apparences simples, limitées et répétitives, mais là aussi, le terme était peu précis. Au sens large, il peut comprendre aussi bien les œuvres de Mondrian ou de Malévitch, caractérisées par des formes géométriques simples que les ready-made de Duchamp dans lesquels la matière crue ou très peu artistique est prise comme une œuvre parfaite.

Mais au sens plus étroit, les minimalistes sont des artistes qui ont commencé à travailler à partir des années 60 à New York, avec un style vraiment austère. Quelques grands noms sont dans Exemple 4. Leurs œuvres sont sans référence à une image, sans valeur symbolique, sans vision émotionnelle ou subjective.

Exemple 4 : Artistes minimalistes

Barnett NEWMAN, 1905-1970
Ad REINHARDT, 1913-1967
Kenneth NOLAND, 1924-

Carl ANDRE, 1935-
Jo BAER, 1929-
Dan FLAVIN, 1933-
Donald JUDD, 1928-1994
Ellsworth KELLY, 1923-
Sol LE WITT, 1928-
John MC CRACKEN, 1934-
Brice MARDEN, 1938-
Agnes MARTIN, 1912-
Robert MORRIS, 1931-
Richard SERRA, 1939-
David SMITH, 1926-1965
Tony SMITH, 1912-1980
Frank STELLA, 1936-

Ces artistes, eux aussi, comme les compositeurs, malgré leurs attitudes communes, tiennent à affirmer que leurs divergences l’emportent sur leurs ressemblances. Pour tenter de décrire cette divergence, beaucoup de dénominations ont été proposées par les critiques : ABC Art (Barbara Rose), New Cool Art (Irving Sandler), Serial Art (Mel Bochner), Primary Structures (Kynaston McShine), Art of the Real (E. C. Goosen), Systemic Art, Concrete Objects, Single Image Art, etc… (1)

Comme dans la musique, chacune de ces expressions définit une partie de cet art, mais finalement l’appellation aujourd’hui retenue est minimalisme.



(1) La plupart des articles écrits par ces critiques, parus originellement dans divers journaux sont maintenant rassemblés dans G. Battcock, éd.,
Minimal Art.

I. 2. Relations personnelles
I. 3. Histoire
II. 1. Simplicité et répétition
II. 2. Planéité
II. 3. Infinité
II. 4. Public
Bibliographie

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