“Ça va mieux, mais je me trouvais tarte.”
Son interprétation de lady Chatterley lui a offert un césar. Comédienne pudique, Marina Hands a longtemps eu peur d’elle-même et de ses origines.
Elle n’a que 30 ans, et vient de connaître la consécration. Un césar de la meilleure actrice pour Lady Chatterley, de Pascale Ferran, et puis deux grands rôles en alternance à la Comédie-Française, où elle est pensionnaire depuis le 1er janvier 2006 : Ysé dans Partage de midi, de Paul Claudel, bientôt Célimène dans une nouvelle mise en scène du Misanthrope. L’année Marina Hands... Normal pour une enfant de la balle ? Sa mère, Ludmila Mikaël était dans les années 70 la jeune première du Français, où elle a connu le futur père de Marina, l’Anglais Terry Hands, venu monter Shakespeare (Richard III ; Périclès, prince de Tyr ; La Nuit des rois).
Mais non, au contraire, confesse cette douce et grande jeune femme au visage angélique et à la voix cristalline, longtemps le théâtre ne l’a pas tentée. Elle se rêvait cavalière, se découvre actrice sur le tard, d’abord sur les planches et puis sur grand écran, où Pascale Ferran a l’intuition de faire de cette introvertie une amante sensuelle, en harmonie avec la nature. Marina Hands n’en revient pas d’avoir su le faire avec un naturel si rayonnant. Elle rit souvent, ne cache rien de ses doutes et de ses certitudes. Le cinéma français a pris l’habitude de trop vite consumer ses jeunes héroïnes. Mais Marina, qui rêve d’une « carrière à la Binoche », est là pour longtemps, la tête sur les épaules et les mots pour le dire.
Est-ce que vous sentez un changement dans le regard que l’on porte sur vous, depuis votre césar ?
Oh, ce n’est pas l’émeute ! Des gens m’abordent gentiment dans les cafés, j’ai reçu plusieurs propositions de films, mais ma vie n’est pas bouleversée. J’ai repris les répétitions à la Comédie-Française dès le lundi qui suivait la cérémonie, je n’ai peut-être pas encore eu le temps de réaliser. Mais cela donne de l’énergie dans le travail, et je suis surtout heureuse pour Lady Chatterley, qui profite d’une seconde chance.
Les Césars ont récompensé un film qui s’est fait dans des conditions très chaotiques, et dont l’accueil a d’abord été timide… Est-ce que vous avez eu peur, parfois, de vous être trop investie, d’avoir trop donné ?
J’ai envisagé cette question tout le temps. Il y a eu des moments où je me disais : qu’est-ce que je fous là ? D’autant qu’au cinéma, contrairement au théâtre, il y a cette longue période où l’on crée à vide, où l’on n’a pas d’autre retour sur son travail que le regard du metteur en scène. Et puis, c’est vrai, Lady Chatterley a été une aventure de bout en bout. Deux semaines après le début du tournage, le producteur a annoncé qu’il n’y avait plus d’argent. Le film a failli s’arrêter, mais c’était comme si la machine continuait à fonctionner toute seule. Le tournage était dur, éprouvant, avec une petite équipe. Dans les moments où l’on ne se sentait soutenus par personne, on se sauvait mutuellement en essayant de rendre les journées les plus productives possible… Après, je suis partie sur le tournage de Ne le dis à personne, de Guillaume Canet, un film à plus gros budget, et c’était un autre monde.
Comment Pascale Ferran vous a-t-elle choisie ?
J’ai passé des essais. Pascale m’avait vue au théâtre dans Phèdre, monté par Patrice Chéreau, et dans le téléfilm Un pique-nique chez Osiris, écrit par Nina Companeez. On s’est rencontrées plusieurs fois. Je lui ai vite parlé de ma frayeur des scènes de nu. Je ne me sentais pas capable de faire tout ce qui était écrit dans le scénario, et curieusement elle était ravie. Elle ne voulait pas d’une actrice pour qui ces scènes n’auraient pas été un problème. Je me suis servie, bien sûr, de ces inhibitions pour le personnage.
Pour vous, c’est un film sur le plaisir ?
Pascale Ferran dit que c’est un manifeste pour la joie, pour que la priorité soit donnée au bonheur et au plaisir. La plénitude de l’amour est une chose profonde et primordiale. Je l’ai accompagnée en province, où elle a participé à plusieurs débats : souvent les spectateurs croient déceler chez Constance Chatterley une forme d’innocence, de naïveté, un côté « Oui-Oui au milieu des fleurs » ; mais c’est plus complexe : c’est plutôt une nouvelle naissance, un retour à l’innocence. La version longue du film, que proposera bientôt Arte (1), le montre davantage, à travers des échanges entre Constance et son mari et des passages où son angoisse est perceptible. Je ne peux pas dire que ces projections publiques aient été un plaisir : rentrer dans la salle juste après la projection, recevoir les réactions à chaud, sur un film où je me sens tout de même exposée de la tête aux pieds, c’est franchement intimidant. On me questionnait d’ailleurs sur ce paradoxe : être soi-même très pudique et montrer sa nudité en incarnant un personnage qui ne l’est pas…
Et votre propre réaction à la première vision du film ?
Je ne l’ai vu que terminé. Je ne voulais pas voir les rushes tant que je n’avais pas fini de tourner. Je savais que si je me voyais, j’allais me détester, j’allais commencer à pinailler sur des bêtises, à dire « mon nez ne va pas », « ce n’est pas le bon profil », etc. Se regarder, c’est l’ennemi du jeu, en tout cas pour moi. En découvrant le film, j’ai été impressionnée par le cadrage et la lumière, des aspects dont je ne me rendais pas bien compte pendant le tournage. Mais me voir, moi ? C’était assez horrible. J’ai honte de le dire, mais c’est comme ça.
Vous êtes la fille d’une comédienne et d’un metteur en scène. Quel regard portiez-vous enfant sur le métier de comédien ?
Il était très différent selon que j’étais avec l’un ou l’autre de mes parents. Mon père vivait en Angleterre, et il m’emmenait partout. Je me souviens d’heures passées à suivre les répétitions des pièces qu’il montait, à me promener sur le plateau, au milieu du décor. J’ai vu ses spectacles très jeune, ils étaient en anglais et, au début, je ne comprenais pas tout, mais la curiosité était forte. Ma mère, avec qui je vivais au quotidien à Paris, me protégeait beaucoup de son métier. Elle voulait que j’aie une enfance normale, elle ne me traînait pas sur les tournages. J’allais la voir jouer au Français, mais c’est tout. A la regarder sur scène, parfois, je la sentais exposée, un peu en danger, avec tous ces gens portant sur elle un regard intense. Je me souviens d’une gifle qu’elle recevait dans Les Caprices de Marianne, j’étais très jeune, j’avais hurlé, il avait fallu m’emmener hors de la salle ! J’ai des souvenirs plus précis de La Trilogie de la villégiature, mise en scène par Giorgio Strehler, ou du Soulier de satin, monté par Antoine Vitez.
Vous avez longtemps résisté à la vocation d’être comédienne. Comment s’est-elle affirmée ?
C’était le domaine de mes parents, qui étaient très investis dans leur travail, sans doute voulais-je me démarquer d’eux… Je ne sais pas très bien pourquoi, mais quand on me disait « tu vas faire comme ta maman » sortait de moi un « non ! » épidermique. J’avais la passion de l’équitation. J’avais atteint un niveau très honorable, presque professionnel : une limite que je n’ai jamais réussi à franchir. J’avais la poisse : je travaillais dur et puis juste avant les championnats, il y avait toujours un pépin, mon cheval qui boitait, ou autre chose. La possibilité d’en faire mon métier s’est éloignée, la question des études s’est posée. J’ai suivi des copines au cours Florent, et cela a été un choc presque physiologique. Jouer était thérapeutique.
C’est-à-dire ?
J’étais très inhibée, verrouillée, bloquée, et tout d’un coup je me suis libérée. J’ai découvert que je ne vivais pas du tout en phase avec mes désirs, mes émotions. Incarner des personnages révélait des sensations insoupçonnées. Sur scène, j’avais l’impression d’être au bon endroit. Après est né un sentiment d’imposture d’une autre sorte : il provenait des ragots, des bruits de couloir, on disait que j’étais peut-être là parce que j’étais la fille de mes parents. Je n’y avais jamais vraiment pensé : mes parents, ce n’est pas le show-biz ni les couvertures des magazines ! Mais je l’ai mal vécu. Je me disais : « C’est peut-être vrai, après tout…»
L’entrée au Conservatoire a dû être un gage de légitimité…
Mais l’admission même devenait suspecte aux yeux de certains !
Vos parents en disaient quoi ?
Ils n’en revenaient pas que j’aie choisi cette voie. Et ce n’est pas forcément ce qu’ils avaient souhaité pour moi. On n’en parlait pas trop : je voulais y arriver seule, ne pas solliciter leur aide. Comprendre seule si mon désir était profond ou si c’était une facilité de choix de vie.
En deuxième année de Conservatoire, vous partez compléter votre formation en Angleterre. Pourquoi ?
Parce que les acteurs anglais sont des références pour moi. La carrière de Judi Dench, par exemple, cette immense actrice que l’on a vue, récemment, dans Chronique d’un scandale ! J’ai vu les plus grands sur scène, quand mon père codirigeait la Royal Shakespeare Company. J’ai vu Jeremy Irons, j’ai vu Helen Mirren. Ce sont des acteurs de théâtre qui sont devenus des stars au cinéma parce qu’il n’y a pas cette frontière exaspérante qui existe en France. La formation de l’acteur est très différente en Grande-Bretagne : elle est plus complète, avec des sections pour la voix, d’autres pour le corps. On vous apprend concrètement à utiliser tous ces instruments. Et puis il n’y a pas de débat théorique sur ce qui serait le bon ou le mauvais théâtre. L’urgence est de pouvoir travailler vite et de vivre de son métier. En France, au Conservatoire, l’enseignement de l’art dramatique ressemble plus à des master classes : on suit un professeur pendant un an, qui vous donne sa philosophie du théâtre.
Est-ce que l’on peut dire, pour résumer, qu’il y a en Grande-Bretagne une «mécanique de l’acteur », là où en France il s’agirait plutôt d’une mystique...
C’est tout à fait ça. Je trouve d’ailleurs troublant que, depuis quelques années, certaines personnes s’essaient au théâtre comme si c’était un art qui s’improvisait. Exactement comme si, demain, avec un bon professeur de chant et en me tenant face au public, je me disais capable de chanter La Traviata... Mais, par ailleurs, la technique ne peut pas être une fin en soi. Elle doit être au service de l’expression. C’est un pont entre l’intérieur de soi et la façon dont on le transmet à l’extérieur. Cela devient un langage propre.
Que se passe-t-il après le Conservatoire ?
J’ai travaillé tout de suite. J’ai commencé dans le théâtre privé, avec Robert Hirsch à la Porte-Saint-Martin. Une chance, et un choix. Des amis du Conservatoire me disaient : « Quoi, tu vas aller faire cette merde dans le privé ! ? » Ma mère, elle, me soutenait très tendrement. Ensuite, j’ai été choisie par Andrzej Zulawski pour jouer la sœur de Sophie Marceau dans La Fidélité. Je n’avais jamais songé au cinéma, je pensais que je n’étais pas « cinégénique », que je n’étais pas intéressante à filmer.
Vous ne vous trouviez pas moche, quand même ?
Oh ! si. Je travaille sur ce complexe, ça va mieux, mais je me trouvais tarte, sans intérêt. Et puis je ne voulais pas considérer mon physique, les questions d’image. Au théâtre, le problème se pose moins. J’ai toujours pensé que le cinéma, eh bien... ça viendrait ou pas et que ça ne dépendait pas de moi. D’ailleurs, quand je passais des castings, je n’étais pas prise. Après le succès d’Amélie Poulain, les petites brunes piquantes avaient la cote : moi, j’étais trop grande. Ou, en tout cas, c’est clair, je ne faisais pas rêver.
Vous avez déjà eu le temps d’éprouver des déceptions professionnelles ?
Bien sûr, oui, et je suis assez costaude pour les encaisser. Dans la vie, il y a toujours la loi des séries : cette période où j’étais choisie par des cinéastes, et puis virée au dernier moment parce que je n’étais pas assez connue. Impossible de réunir des financements sur mon nom. Ou bien le réalisateur m’appelait : « Bon, c’est mort pour le rôle principal, mais si tu veux, il y a ce second rôle, là... »
Comment est-ce que l’on entre à la Comédie-Française ?
L’administrateur vous le propose. En l’occurrence, Marcel Bozonnet. Il m’avait déjà approchée à deux reprises, mais j’étais en train de tourner. C’est parce que j’ai résolu mon problème de légitimité que j’ai pu rentrer au Français, et non l’inverse. J’avais envie de travailler à l’année, dans une troupe, de faire l’expérience d’un travail permanent.
Quand vous arrivez au Français, début 2006, on est en pleine guerre des clans, qui va se résoudre, à l’été, par la nomination surprise de Muriel Mayette à la tête du théâtre. Comment le vit-on de l’intérieur ?
Uniquement par ce qu’en disent les uns et les autres. Que les soixante artistes de la maison aient chacun leurs goûts et leurs envies ne paraît pas étonnant. Le changement a été brutal, mais Muriel Mayette a fait preuve d’une grande diplomatie. Je l’ai connue au Conservatoire, où j’ai été son élève.
Vous parlez du Français avec votre mère ?
Les situations sont très différentes : quand elle y est rentrée, c’était une époque de grande hiérarchie entre les pensionnaires et les sociétaires. Ce n’était pas facile : les « congés », par exemple, pour aller faire du cinéma, étaient donnés au compte-gouttes. Mais c’était aussi une période flamboyante avec des spectacles qui ont fait date. C’est pour cela qu’elle y est restée vingt ans, au prix peut-être d’une autre carrière sur grand écran.
Vous reprenez le rôle d’Ysé dans Partage de midi, de Paul Claudel. Un rôle que votre mère a joué dans une mise en scène référence d’Antoine Vitez...
Dieu merci ! Je ne l’ai pas vue sur scène à l’époque ! Cela ne m’effraie pas particulièrement, depuis trente ans, elle n’est pas la seule avoir joué Ysé. Mais je ne veux pas effacer le souvenir que les gens gardent d’elle, au contraire, le raviver me rendrait heureuse. Je vais essayer de transmettre la beauté de ce texte et d’incarner la langue splendide de Claudel. Ce que j’adore dans son œuvre, c’est qu’elle pose la question de l’être humain dans toute sa noirceur et sa complexité. C’est tout le contraire de D. H. Lawrence, pour qui l’amour est générosité, sans l’obsession de la possession. Chez Claudel, il y a passion, combustion, désir d’avoir l’autre pour soi seul. Il y a une dimension presque adolescente dans sa vision de l’amour.
Mais non, au contraire, confesse cette douce et grande jeune femme au visage angélique et à la voix cristalline, longtemps le théâtre ne l’a pas tentée. Elle se rêvait cavalière, se découvre actrice sur le tard, d’abord sur les planches et puis sur grand écran, où Pascale Ferran a l’intuition de faire de cette introvertie une amante sensuelle, en harmonie avec la nature. Marina Hands n’en revient pas d’avoir su le faire avec un naturel si rayonnant. Elle rit souvent, ne cache rien de ses doutes et de ses certitudes. Le cinéma français a pris l’habitude de trop vite consumer ses jeunes héroïnes. Mais Marina, qui rêve d’une « carrière à la Binoche », est là pour longtemps, la tête sur les épaules et les mots pour le dire.
Est-ce que vous sentez un changement dans le regard que l’on porte sur vous, depuis votre césar ?
Oh, ce n’est pas l’émeute ! Des gens m’abordent gentiment dans les cafés, j’ai reçu plusieurs propositions de films, mais ma vie n’est pas bouleversée. J’ai repris les répétitions à la Comédie-Française dès le lundi qui suivait la cérémonie, je n’ai peut-être pas encore eu le temps de réaliser. Mais cela donne de l’énergie dans le travail, et je suis surtout heureuse pour Lady Chatterley, qui profite d’une seconde chance.
Les Césars ont récompensé un film qui s’est fait dans des conditions très chaotiques, et dont l’accueil a d’abord été timide… Est-ce que vous avez eu peur, parfois, de vous être trop investie, d’avoir trop donné ?
J’ai envisagé cette question tout le temps. Il y a eu des moments où je me disais : qu’est-ce que je fous là ? D’autant qu’au cinéma, contrairement au théâtre, il y a cette longue période où l’on crée à vide, où l’on n’a pas d’autre retour sur son travail que le regard du metteur en scène. Et puis, c’est vrai, Lady Chatterley a été une aventure de bout en bout. Deux semaines après le début du tournage, le producteur a annoncé qu’il n’y avait plus d’argent. Le film a failli s’arrêter, mais c’était comme si la machine continuait à fonctionner toute seule. Le tournage était dur, éprouvant, avec une petite équipe. Dans les moments où l’on ne se sentait soutenus par personne, on se sauvait mutuellement en essayant de rendre les journées les plus productives possible… Après, je suis partie sur le tournage de Ne le dis à personne, de Guillaume Canet, un film à plus gros budget, et c’était un autre monde.
Comment Pascale Ferran vous a-t-elle choisie ?
J’ai passé des essais. Pascale m’avait vue au théâtre dans Phèdre, monté par Patrice Chéreau, et dans le téléfilm Un pique-nique chez Osiris, écrit par Nina Companeez. On s’est rencontrées plusieurs fois. Je lui ai vite parlé de ma frayeur des scènes de nu. Je ne me sentais pas capable de faire tout ce qui était écrit dans le scénario, et curieusement elle était ravie. Elle ne voulait pas d’une actrice pour qui ces scènes n’auraient pas été un problème. Je me suis servie, bien sûr, de ces inhibitions pour le personnage.
Pour vous, c’est un film sur le plaisir ?
Pascale Ferran dit que c’est un manifeste pour la joie, pour que la priorité soit donnée au bonheur et au plaisir. La plénitude de l’amour est une chose profonde et primordiale. Je l’ai accompagnée en province, où elle a participé à plusieurs débats : souvent les spectateurs croient déceler chez Constance Chatterley une forme d’innocence, de naïveté, un côté « Oui-Oui au milieu des fleurs » ; mais c’est plus complexe : c’est plutôt une nouvelle naissance, un retour à l’innocence. La version longue du film, que proposera bientôt Arte (1), le montre davantage, à travers des échanges entre Constance et son mari et des passages où son angoisse est perceptible. Je ne peux pas dire que ces projections publiques aient été un plaisir : rentrer dans la salle juste après la projection, recevoir les réactions à chaud, sur un film où je me sens tout de même exposée de la tête aux pieds, c’est franchement intimidant. On me questionnait d’ailleurs sur ce paradoxe : être soi-même très pudique et montrer sa nudité en incarnant un personnage qui ne l’est pas…
Et votre propre réaction à la première vision du film ?
Je ne l’ai vu que terminé. Je ne voulais pas voir les rushes tant que je n’avais pas fini de tourner. Je savais que si je me voyais, j’allais me détester, j’allais commencer à pinailler sur des bêtises, à dire « mon nez ne va pas », « ce n’est pas le bon profil », etc. Se regarder, c’est l’ennemi du jeu, en tout cas pour moi. En découvrant le film, j’ai été impressionnée par le cadrage et la lumière, des aspects dont je ne me rendais pas bien compte pendant le tournage. Mais me voir, moi ? C’était assez horrible. J’ai honte de le dire, mais c’est comme ça.
Vous êtes la fille d’une comédienne et d’un metteur en scène. Quel regard portiez-vous enfant sur le métier de comédien ?
Il était très différent selon que j’étais avec l’un ou l’autre de mes parents. Mon père vivait en Angleterre, et il m’emmenait partout. Je me souviens d’heures passées à suivre les répétitions des pièces qu’il montait, à me promener sur le plateau, au milieu du décor. J’ai vu ses spectacles très jeune, ils étaient en anglais et, au début, je ne comprenais pas tout, mais la curiosité était forte. Ma mère, avec qui je vivais au quotidien à Paris, me protégeait beaucoup de son métier. Elle voulait que j’aie une enfance normale, elle ne me traînait pas sur les tournages. J’allais la voir jouer au Français, mais c’est tout. A la regarder sur scène, parfois, je la sentais exposée, un peu en danger, avec tous ces gens portant sur elle un regard intense. Je me souviens d’une gifle qu’elle recevait dans Les Caprices de Marianne, j’étais très jeune, j’avais hurlé, il avait fallu m’emmener hors de la salle ! J’ai des souvenirs plus précis de La Trilogie de la villégiature, mise en scène par Giorgio Strehler, ou du Soulier de satin, monté par Antoine Vitez.
Vous avez longtemps résisté à la vocation d’être comédienne. Comment s’est-elle affirmée ?
C’était le domaine de mes parents, qui étaient très investis dans leur travail, sans doute voulais-je me démarquer d’eux… Je ne sais pas très bien pourquoi, mais quand on me disait « tu vas faire comme ta maman » sortait de moi un « non ! » épidermique. J’avais la passion de l’équitation. J’avais atteint un niveau très honorable, presque professionnel : une limite que je n’ai jamais réussi à franchir. J’avais la poisse : je travaillais dur et puis juste avant les championnats, il y avait toujours un pépin, mon cheval qui boitait, ou autre chose. La possibilité d’en faire mon métier s’est éloignée, la question des études s’est posée. J’ai suivi des copines au cours Florent, et cela a été un choc presque physiologique. Jouer était thérapeutique.
C’est-à-dire ?
J’étais très inhibée, verrouillée, bloquée, et tout d’un coup je me suis libérée. J’ai découvert que je ne vivais pas du tout en phase avec mes désirs, mes émotions. Incarner des personnages révélait des sensations insoupçonnées. Sur scène, j’avais l’impression d’être au bon endroit. Après est né un sentiment d’imposture d’une autre sorte : il provenait des ragots, des bruits de couloir, on disait que j’étais peut-être là parce que j’étais la fille de mes parents. Je n’y avais jamais vraiment pensé : mes parents, ce n’est pas le show-biz ni les couvertures des magazines ! Mais je l’ai mal vécu. Je me disais : « C’est peut-être vrai, après tout…»
L’entrée au Conservatoire a dû être un gage de légitimité…
Mais l’admission même devenait suspecte aux yeux de certains !
Vos parents en disaient quoi ?
Ils n’en revenaient pas que j’aie choisi cette voie. Et ce n’est pas forcément ce qu’ils avaient souhaité pour moi. On n’en parlait pas trop : je voulais y arriver seule, ne pas solliciter leur aide. Comprendre seule si mon désir était profond ou si c’était une facilité de choix de vie.
En deuxième année de Conservatoire, vous partez compléter votre formation en Angleterre. Pourquoi ?
Parce que les acteurs anglais sont des références pour moi. La carrière de Judi Dench, par exemple, cette immense actrice que l’on a vue, récemment, dans Chronique d’un scandale ! J’ai vu les plus grands sur scène, quand mon père codirigeait la Royal Shakespeare Company. J’ai vu Jeremy Irons, j’ai vu Helen Mirren. Ce sont des acteurs de théâtre qui sont devenus des stars au cinéma parce qu’il n’y a pas cette frontière exaspérante qui existe en France. La formation de l’acteur est très différente en Grande-Bretagne : elle est plus complète, avec des sections pour la voix, d’autres pour le corps. On vous apprend concrètement à utiliser tous ces instruments. Et puis il n’y a pas de débat théorique sur ce qui serait le bon ou le mauvais théâtre. L’urgence est de pouvoir travailler vite et de vivre de son métier. En France, au Conservatoire, l’enseignement de l’art dramatique ressemble plus à des master classes : on suit un professeur pendant un an, qui vous donne sa philosophie du théâtre.
Est-ce que l’on peut dire, pour résumer, qu’il y a en Grande-Bretagne une «mécanique de l’acteur », là où en France il s’agirait plutôt d’une mystique...
C’est tout à fait ça. Je trouve d’ailleurs troublant que, depuis quelques années, certaines personnes s’essaient au théâtre comme si c’était un art qui s’improvisait. Exactement comme si, demain, avec un bon professeur de chant et en me tenant face au public, je me disais capable de chanter La Traviata... Mais, par ailleurs, la technique ne peut pas être une fin en soi. Elle doit être au service de l’expression. C’est un pont entre l’intérieur de soi et la façon dont on le transmet à l’extérieur. Cela devient un langage propre.
Que se passe-t-il après le Conservatoire ?
J’ai travaillé tout de suite. J’ai commencé dans le théâtre privé, avec Robert Hirsch à la Porte-Saint-Martin. Une chance, et un choix. Des amis du Conservatoire me disaient : « Quoi, tu vas aller faire cette merde dans le privé ! ? » Ma mère, elle, me soutenait très tendrement. Ensuite, j’ai été choisie par Andrzej Zulawski pour jouer la sœur de Sophie Marceau dans La Fidélité. Je n’avais jamais songé au cinéma, je pensais que je n’étais pas « cinégénique », que je n’étais pas intéressante à filmer.
Vous ne vous trouviez pas moche, quand même ?
Oh ! si. Je travaille sur ce complexe, ça va mieux, mais je me trouvais tarte, sans intérêt. Et puis je ne voulais pas considérer mon physique, les questions d’image. Au théâtre, le problème se pose moins. J’ai toujours pensé que le cinéma, eh bien... ça viendrait ou pas et que ça ne dépendait pas de moi. D’ailleurs, quand je passais des castings, je n’étais pas prise. Après le succès d’Amélie Poulain, les petites brunes piquantes avaient la cote : moi, j’étais trop grande. Ou, en tout cas, c’est clair, je ne faisais pas rêver.
Vous avez déjà eu le temps d’éprouver des déceptions professionnelles ?
Bien sûr, oui, et je suis assez costaude pour les encaisser. Dans la vie, il y a toujours la loi des séries : cette période où j’étais choisie par des cinéastes, et puis virée au dernier moment parce que je n’étais pas assez connue. Impossible de réunir des financements sur mon nom. Ou bien le réalisateur m’appelait : « Bon, c’est mort pour le rôle principal, mais si tu veux, il y a ce second rôle, là... »
Comment est-ce que l’on entre à la Comédie-Française ?
L’administrateur vous le propose. En l’occurrence, Marcel Bozonnet. Il m’avait déjà approchée à deux reprises, mais j’étais en train de tourner. C’est parce que j’ai résolu mon problème de légitimité que j’ai pu rentrer au Français, et non l’inverse. J’avais envie de travailler à l’année, dans une troupe, de faire l’expérience d’un travail permanent.
Quand vous arrivez au Français, début 2006, on est en pleine guerre des clans, qui va se résoudre, à l’été, par la nomination surprise de Muriel Mayette à la tête du théâtre. Comment le vit-on de l’intérieur ?
Uniquement par ce qu’en disent les uns et les autres. Que les soixante artistes de la maison aient chacun leurs goûts et leurs envies ne paraît pas étonnant. Le changement a été brutal, mais Muriel Mayette a fait preuve d’une grande diplomatie. Je l’ai connue au Conservatoire, où j’ai été son élève.
Vous parlez du Français avec votre mère ?
Les situations sont très différentes : quand elle y est rentrée, c’était une époque de grande hiérarchie entre les pensionnaires et les sociétaires. Ce n’était pas facile : les « congés », par exemple, pour aller faire du cinéma, étaient donnés au compte-gouttes. Mais c’était aussi une période flamboyante avec des spectacles qui ont fait date. C’est pour cela qu’elle y est restée vingt ans, au prix peut-être d’une autre carrière sur grand écran.
Vous reprenez le rôle d’Ysé dans Partage de midi, de Paul Claudel. Un rôle que votre mère a joué dans une mise en scène référence d’Antoine Vitez...
Dieu merci ! Je ne l’ai pas vue sur scène à l’époque ! Cela ne m’effraie pas particulièrement, depuis trente ans, elle n’est pas la seule avoir joué Ysé. Mais je ne veux pas effacer le souvenir que les gens gardent d’elle, au contraire, le raviver me rendrait heureuse. Je vais essayer de transmettre la beauté de ce texte et d’incarner la langue splendide de Claudel. Ce que j’adore dans son œuvre, c’est qu’elle pose la question de l’être humain dans toute sa noirceur et sa complexité. C’est tout le contraire de D. H. Lawrence, pour qui l’amour est générosité, sans l’obsession de la possession. Chez Claudel, il y a passion, combustion, désir d’avoir l’autre pour soi seul. Il y a une dimension presque adolescente dans sa vision de l’amour.
Propos recueillis par Mathilde Blottière et Aurélien Ferenczi
Télérama n° 2987 - 14 Avril 2007 (lien rompu)
Télérama n° 2987 - 14 Avril 2007 (lien rompu)
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