dimanche 11 avril 2010

En amor trob tantz de mals seignoratges, d'Albertet de Sisteron, PC 16,13

Édition et traduction : Jean BOUTIÈRE, « Les poésies du troubadour Albertet », Studi medievali 10, 1937 : 43-47.

I
En amor trob tantz de mals seignoratges,
tantz loncs desirs e tantz malvatz usatges,
per q'ieu serai de las dompnas salvatges,
e no.is cuidon oimais q'eu chant de lor ;
qu'eu ai estat lor hom e lor mesatges
et enanssat lor pretz e lor valor,
e re no.i trob mas destrics e dampnatges ;
gardatz s'ieu dei oimais chantar d'amor.

II
D'amor non chan ni vuoill aver amia
bella ni pro ni ab gran cortesia,
c'anc no.i trobiei mas engan e bauzia
e fals semblan messongier trahidor ;
e qand ieu plus la cuich tener per mia,
adoncs la trob plus salvatg'e pejor ;
doncs ben es fols totz om q'en lor si fia ;
et ieu agui ma part en la follor.

III
Era vejatz de lor amor, si greva :
qe.ill primieira sap hom qe fo na Eva,
que fetz a Dieu rompre covenz e treva,
don nos em tuich enqeras pechador ;
per que fai mal totz hom c'ab ellas treva,
puois c'om no.n pot conoiser la meillor ;
tals las lauza, no sap d'amor qe.is leva,
ni anc no.n ac joi, pena ni dolor.

IV
El mon non a duquessa ni reïna,
si.m volia de s'amor far aizina,
q'ieu la preses, ni la comtessa fina
de Proensa, c'om ten per la genzor ;
de Salussa no vuoil que n'Agnesina
mi retenga per son entendedor,
ni.l comtessa Biatritz, sa cosina,
de Vianes, ab la fresca color.

V
Si Salvatga, la bella, d'Auramala,
qe de bon pretz a faich palaitz e sala,
non s'o tenga ad orguoill ni a tala,
non amarai ni lieis ni sa seror,
si tot de pretz son en l'aussor escala
e son fillas d'en Colrat, mon seignor ;
pero s'amors m'agra ferit sotz l'ala,
s'amar degues, mas no.n ai ges paor.

VI
Si n'Azalais de Castel e de Massa,
que tot bon pretz vol aver et amassa,
m'en pregava, tota.n seria lassa
anz que m'agues conquis per amador.
Dieus ! qui la ve com el'es fresca e grassa,
sembla rosa novella de pascor,
e siei beill huoill lanson cairel que passa
lo cors e.l cor, mesclat ab gran doussor !

VII
Si.m donava s'amor la pros comtessa,
cill del Carret, q'es de pretz seignoressa,
non faria per lieis un'esdemessa
(gardatz s'ieu dic gran orguoill o follor !)
que jes mos cors plus en dompnas non pessa ;
oimais lor er a percassar aillor,
q'ieu no vuoill jes que neguna m'aguessa
colgat ab se desotz son cobertor.

VIII
Dompnas, oi mais non vuoill vostra promessa
ni non serai de vos entendedor.

IX
Seign'en Colrat, grans es vostra despessa,
don poj'ades e creis vostra lauzor.

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I. Je trouve en amour tant de mauvaises seigneuries, tant de longs désirs et tant de mauvais usages que je me tiendrai [dorénavant] à l'écart des femmes ; et que l'on n'aille pas croire que désormais je chanterai à leur sujet ! Car j'ai été [autrefois] leur homme lige et leur messager, et [malgré cela] je ne trouve auprès d'elles qu'ennuis et dommages. Voyez si désormais je dois chanter l'amour !

II. Je ne chante plus l'amour ; je ne veux plus avoir d'amie belle, noble et pleine de courtoisie, car je n'ai jamais trouvé auprès d'une telle femme que fausseté et tromperie, faux semblants mensongers et traîtres ; et c'est au moment où je crois le plus en être le maître, que je la trouve plus étrangère pour moi et pire [que par le passé]. Aussi, bien fous sont les hommes qui se fient aux femmes ; et j'ai participé, moi aussi, à cette folie.

III. Voyez à présent comme leur amour est préjudiciable : on sait que c'est dame Eve qui, la première, fit rompre à Dieu conventions et accord, et c'est pourquoi aujourd'hui encore nous sommes tous pécheurs. Aussi a-t-il bien tort, tout homme qui les fréquente, car il est impossible de reconnaître quelle est la meilleure. Si quelqu'un les loue, c'est qu'il ignore que l'amour est inconstant, et qu'il n'a jamais reçu de l'amour ni joie, ni peine, ni douleur.

IV. Il n'y a pas au monde de duchesse ni de reine dont je serais disposé, si elle me l'offrait, à accepter l'amour : pas même la noble comtesse de Provence, que l'on tient pour la plus charmante ; et je ne veux pas que dame Agnésine de Saluces me prenne pour « amant », non plus que sa cousine, la comtesse Béatrice de Viennois, au teint frais.

V. Si Selvaggia, la belle d'Auramala, qui a fait un palais et une salle de noble valeur, ne doit pas considérer [mes paroles] comme une marque d'orgueil et un affront, [je déclare que] je n'aimerai ni elle, ni sa sœur, bien qu'elles aient atteint toutes deux le plus haut degré de la valeur et qu'elles soient les filles de mon seigneur Conrad ; si j'avais dû aimer, leur amour m'aurait frappé sous l'aile (au cœur) ; mais cela n'est nullement à craindre.

VI. Si dame Adélaïde de Castel et de Massa, qui rassemble et amasse tout ce qui est noble prix, me priait d'amour, elle serait bien fatiguée avant de m'avoir conquis comme amoureux ; [et cependant] Dieu ! qui ne voit comme elle est fraîche et potelée : elle ressemble à une rose nouvelle du printemps ; et ses beaux yeux lancent un trait qui traverse le corps et le cœur avec une douceur extrême !

VII. Si elle me donnait son amour, la noble comtesse del Carret, qui est la souveraine de prix, je ne ferais pas, pour l'avoir, le moindre effort ; voyez si je suis orgueilleux et fou dans mes paroles ! Car mon cœur ne pense plus aux femmes : dorénavant, il leur faudra chercher ailleurs ; je ne veux pas que quelqu'une [de celles-ci] me tienne couché avec elle, sous sa couverture.

VIII. Femmes, dorénavant je ne veux plus de vos promesses et je ne serai plus amoureux de vous.

IX. Seigneur Conrad, grandes sont vos dépenses ; aussi votre réputation s'élève-t-elle et s'accroît-elle chaque jour.

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